Restent, toujours, les images.
Après l’explosion finale, du réel, (mais est-ce une fin du monde, est-ce la naissance ?) commence l’imaginaire.
La fin du film tient à quelques photogrammes seulement. L’image se sur ex-pose. C’est fini. Il n’y aura plus d’histoire, sinon des images. On a rarement vu cette fonte extrême du sens dans la forme : le cinéma s’arrête-t-il là, parce qu’il n’y a plus d’histoire à raconter, ou les histoires au cinéma, s’épuiseraient-elles, faute de pouvoir en dire autre chose, sinon aujourd’hui, le bon sens, le bien commun, anti-pasolinien ?
Les images du prologue de Melancholia reviennent alors : un hyper-ralenti qui déconstruit à lui seul l’histoire du cinématographe. Là où Marey puis Muybridge tentaient de décomposer le mouvement, Lars Von Trier le fige, l’obstrue, le bouche. Il n’y a plus d’issue : les plans sont filmés à un millier d’images à la seconde, là où le cinéma s’instituait jusque-là à 18 puis 24 images à la seconde. Les frères Lumière montraient du vrai-semblable, de la réalité. Godard aurait pu, d’un « Ceci n’est pas une pipe », faire un long métrage.
Pour Lars Von Trier, il semblerait qu’il n’y ait plus de mouvement, plus de vie, mais de la peinture, du tableau, seule trace brillante d’un objet en cours de perdition. La caméra portée à l’épaule, hystérique, ne cadre plus que le réel des corps, c’est-à-dire leur morcellement. Elle est tentative d’échapper à la représentation, dont le réalisateur redoute lui-même les effets. Le dogme érigé quelques années plus tôt avec Thomas Vinterberg voulait peut-être survivre à un « cinéma déontologique » qui assure, aujourd’hui, les succès en salle : « La guerre est déclarée» en est un exemple.
Dans Melancholia, il n’y a plus une logique de la lumière qui jusque-là voulait que, dans l’image, on ne puisse voir qu’une seule ombre portée. Ici, il arrivera désormais qu’il y en ait deux. Deux astres. Deux autres. Deux ombres. Deux structures qui dans notre imaginaire seront portées, systématiquement, immanquablement, du côté d’une symétrie. Justine et Claire. Deux sœurs. Psychose et névrose. Couleur froide et chaude de la lumière.
L’imaginaire est ainsi construit, dans une dualité : l’objet et son image. Là où, dans le réel, on ne peut pas compter.
Deux sœurs, deux couleurs, deux structures.
L’homme, le père, ont disparu. Les hommes disparaissent dans le film, un à un : le père de Justine pourrait être son enfant. Au lendemain du mariage, il n’a pu tenir sa promesse de rester. Le futur époux de Justine renonce à sa promise le jour même. Le mari de Claire, trahi par la science, qui seule phallicisait son dire, ne croit plus ni en Dieu, ni en Elle, ni en Rien. Il se suicide.
Justine dit sa vérité, là où Claire s’accrochera, jusqu’à la fin, à un semblant.
Lars Von Trier évoque superbement en images et en sons, sa propre mélancolie, dont le cinéma est la bile.
Au-delà des bruissements cannois, Melancholia est un très beau moment de cinéma.