Le terme anglais, qui est la traduction de « troubles », est disorders.

Passer par une autre langue, peut permettre de s’écarter un peu d’une notion qui, d’être si souvent utilisée aujourd’hui, et de manière systématique, finit par être usée de son sens, au point qu’elle en devient un mot-étiquette, collé aisément en regard de toute situation comportementale qui dans un groupe social, familial, professionnel, pose question.

Nous pourrions alors, à partir du terme anglais de disorders, en garder la racine, et le traduire à nouveau par celui-ci : désordres. Désordres dans le comportement. Cela pourrait permettre d’éclairer différemment ce qui est en jeu ici : Si le terme de « troubles » renvoie à la perturbation d’un corps social, par un trublion, aussi jeune soit-il, celui de « désordre » précise différemment ce qu’il en est du sujet, de l’enfant qui par exemple dans sa classe, manifeste un certain désordre, le sien d’abord, un désordre subjectif, et laisse trace ainsi, à l’absence pour lui, de repères qui pour d’autres, suffiraient à orienter de manière plus signifiante son rapport aux autres.

L’on pourrait s’intéresser de la même façon à ce qu’il en est du terme de comportement : étymologiquement « porter avec soi, transporter », la comporte était une lourde cuve en bois, portée sur le dos, pour transporter les raisins durant les vendanges.  La langue anglaise utilise pour comportement,  le mot « Behavior », et l’on connaît le behaviorisme, psychologie comportementale qui consiste donc à corriger certains troubles.

On aboutira alors à ceci,  cette proposition de transposer littéralement les troubles du comportement, en  « désordres de ce que l’on porte,  par devers  soi ».

Ce détour ne vaut pas seulement comme manière de jouer avec les mots. Il indique qu’il existe différents sens possibles, des difficultés qui demeurent masquées dans les mots eux-mêmes,  qui ne sont jamais univoques.

 De quels désordres alors, est-il question ? L’on stigmatise aujourd’hui, pour les problèmes éducatifs et pédagogiques qu’ils entraînent, l’agitation motrice et verbale de certains enfants, les comportements violents, les phénomènes croissants de vol ou de racket dans les écoles, parfois même dans les petites classes du primaire. Un récent rapport de l’Inserm préconisait même le repérage précoce de ces troubles, comme les indicateurs possibles des futurs comportements délinquants.

Mais on parle moins par exemple de ces enfants – tout bonnement parce qu’ils ne font jamais parler d’eux – et qui ne parviennent pas à s’intégrer dans un groupe social, demeurent en retrait et portent tout autant, en devers eux, un dés-ordre subjectif.

On parle également peu d’un autre phénomène, qui semble toucher davantage les classes plus aisées de la population, se traduisant dans les cours de récréation  des « bonnes écoles », par un comportement d’exclusion  systématique de ceux ou celles qui ne se conformeraient pas à une certaine norme sociale, soit disant plus prestigieuse,  et où paradoxalement, l’injonction qui consiste à être le plus « populaire » de tous, peut entraîner des comportements d’évitement, de rejet, des moqueries systématiques qui relèvent d’un degré de perversion groupale assez élaboré. On le voit dans ce dernier exemple, le groupe social lui-même est porteur d’un trouble,  mais dont la fonction cette fois, serait de constituer un nouvel ordre, un impératif délimitant une norme comportementale.

Comment donc entrevoir la nature de ces dés-ordres subjectifs, aussi diversifiés soient-ils ? Peut-on d’ailleurs établir entre eux des points de convergence, en regard de la psychopathologie ? Il semblerait que non, ce qui devrait nous inciter davantage à tempérer cette facilité avec laquelle, nous parlons des « troubles du comportement » sans vouloir identifier clairement les différentes entités cliniques qu’ils recouvrent. Winnicott, éminent pédiatre et psychanalyste, s’était particulièrement intéressé, vers le milieu du vingtième siècle, aux enfants porteurs de troubles  relevant de tendances antisociales.

Mais il prenait soin de bien différencier ce qu’il en est de ces tendances, et ce qui relève de la délinquance pure. Ainsi, il mettait en avant ce qui, chez les enfants auteurs de certains types de vols par exemple, revenait de manière assez systématique au cours des psychothérapies qu’il pratiquait : l’expression d’une plainte, d’une revendication, l’exigence à recevoir un dû, tout comme une victime réclamerait des dommages et intérêts à un préjudice subi. Ce n’est pas tant alors l’objet réel du camarade qui est convoité dans la compulsion de vol, qu’un sentiment d’injustice qui est mis là en avant, et à propos duquel la certitude de ne pas être aimé devient le ressort essentiel.

Cette plainte, ne se présentera pas de la même manière chez des enfants  agités, s’exprimant au travers d’une violence verbale ou physique.  D’autres angoisses peuvent être ainsi révélées derrière ces comportements, que le praticien aura à décrypter.

Ainsi, les « troubles du comportement » sont davantage à envisager sous l’angle d’une manifestation symptomatique, c’est-à-dire comme la pointe d’un drame subjectif qui se joue ailleurs, soit dans un registre névrotique, ou psychotique, ou pervers.  On pourra par exemple s’étonner du fait que beaucoup d’enfants auteurs de petits larcins, semblent souvent vouloir s’arranger pour en venir à être démasqués. Car s’il est bien une nature commune à tous les symptômes, c’est qu’ils parviennent à devenir manifestes aux yeux d’un tiers.

L’engagement d’une psychothérapie permettra de prendre en compte ces dés-ordres subjectifs, différemment que sous l’angle d’un trouble pur,  d’une maladie, ou un dysfonctionnement, pour lesquels une seule réponse (médicamenteuse ou éducative) suffirait,  à enrayer le processus de mise à l’écart du groupe social.

En fonction de la problématique familiale, le psychothérapeute rencontrera l’enfant seul, ou avec ses parents,  ou dans une alternance entre des séances en individuel et des entretiens familiaux.

 

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