L’approche descriptive de l’anorexie et de la boulimie présente l’inconvénient de situer ces manifestations sur le seul registre des troubles alimentaires. Dès lors, on se réfère à une manifestation symptomatique, une économie hors normes du comportement alimentaire qui ne permet pas de prendre en compte une dimension psychopathologique assez complexe, puisqu’elle fait voler en éclats les repères cliniques habituels, et bien qu’il s’agisse là d’une pathologie depuis longtemps répertoriée. (cf la description de l’anorexie hystérique, par Charles Lasègue, en 1873)

 En effet, aujourd’hui  l’anorexie ne concerne pas seulement des jeunes filles à l’entrée de l’adolescence. Elle touche aussi des femmes plus âgées, également des hommes sans que pour autant, comme cela était le cas jusqu’ici, on puisse penser systématiquement à un syndrôme psychotique.

 Le mode d’entrée dans l’anorexie semble le plus souvent anecdotique ; c’est un régime alimentaire banal qui peu à peu, s’accompagne d’une modification de l’humeur, de la relation à l’autre, une altération assez significative des rapports du sujet à sa famille, la mère en particulier. Cela peut-être également une entrée dans la maladie plus masquée, sous le mode d’un appétit soudain, une alimentation boulimique manifeste, qui par ailleurs se trouve compensée par des vomissements provoqués en cachette, mais qui éveillent rapidement  l’angoisse maternelle : des signes montrent une forme de kleptomanie des denrées alimentaires, d’abord déniée, puis devenant de plus en plus manifeste. L’anorexique qui peu à peu semble vouloir désincarner l’image d’une féminité conventionnelle, sollicite ainsi le regard de l’autre, de ses proches, de l’entourage social qui ne parviennent plus à inverser un cours inexorable, empreint d’une dimension morbide extrême, où la parole, qu’elle soit compréhensive, moralisante, injonctive, n’a plus prise.

Il existe autour de ce phénomène, une certaine forme de militantisme, une dimension de revendication, qui n’est pas sans rappeler la description que fit Charles Lasègue, à la fin du 19ième, à propos de l’anorexie hystérique.

Ces dernières années, on a pu constater sur certains blogs du réseau internet  une forme d’apologie de l’être anorexique,  une littérature de l’anorexique, avec une iconographie très spécifique  qui renvoie également à la question du regard.

Ce phénomène de mode, fut porté un temps par le monde de la haute couture, le défilé de ces jeunes femmes n’étaient pas sans rappeler celles que l’écrivain Hugo Von Hofmannsthal appelait les « femmes sans ombres ».

 L’anorexie dite mentale est une maladie qui mobilise au-delà de la famille, des médecins,  une angoisse plus large encore, puisqu’elle semble vouloir porter à son paroxysme, une vérité décharnée, face à laquelle les mots eux-mêmes n’ont plus de corps. Cette situation en miroir,  délicate, fragilise considérablement le travail thérapeutique. Si l’accompagnement médical est indispensable, la parole demeure également essentielle, au travers du dispositif psychothérapeutique.

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